J’ai commencé à
écrire très tôt. J’avais besoin de poser les démons noir sur blanc, ça sortait
tout seul, je ne sais pas trop d’où, fallait que ça sorte. Extérioriser ou
imploser. Tu ne sais pas ce qui peut traverser le crâne d’une gamine à trauma. A
huit ans, j’ai écrit une lettre pour la Cátia de 16 ans, que j’avais commencé
par « si tu lis ceci, c’est que tu es encore en vie. » J’avais une
sale obsession pour la mort, qui me fascinait tout en me paralysant quotidiennement
de peur. Oui. Huit ans. Au fil des années, c’est devenu plus intense, ce besoin
viscéral de poser sur papier. Quand j’ai lu Le Journal d’Anne Franck, j’ai
insisté pour avoir un journal intime. Je devais avoir dix ou onze ans. J’écrivais
alors les futilités de mon quotidien et mon cœur brisé d’amoureuse en silence.
Puis j’ai eu des tas de cahier, où je déversais la peine, la déchirure, je
faisais des métaphores de la vie à la con, des textes entiers déguisés. Puis :
les réseaux sociaux.
C’était super, je
pouvais évacuer à loisir, je pouvais me plaindre pour aller un peu mieux IRL,
je rencontrais des gens cool, des gens un peu comme moi. Paradoxalement, avec
le temps, j’ai arrêté de noircir mes cahiers, mes blogs, mon crâne. Je me suis
engouffrée dans un tourbillon un peu absurde. A force de noter chaque pensée
comme elle vient, chaque instant de vie, j’en ai oublié de me concentrer sur
moi, de tout lâcher sur papier, de comprendre ce que je ressentais vraiment. Je
parle au passé mais je pourrais le dire au présent. Au fil du temps, des gens s’intéressaient
à moi, à ce que je disais, me demandaient de l’aide et j’admets que c’est très
plaisant. J’ai jamais vraiment eu l’impression d’être importante pour les gens
et là je l’étais. J’avais l’impression de l’être. On me donnait cette
impression. Parce que toi t’es là, t’as l’air d’avoir vécu plein de trucs, des
trucs pas cool, t’en parles sans en parler c’est mystérieux, et t’es debout à
prôner plein de trucs chouettes alors ça inspire, et toi tu aimes quand on te
dit que tu inspires les gens. C’est extrêmement égocentrique, vous en
conviendrez. J’ai aucun mal à l’avouer. Toi qui as toujours été transparente,
les gens s’intéressent à toi, et c’est chouette, ça fait du bien.
Le truc, quand tu
dévoiles un gros secret, c’est que c’est un peu comme si tu arrachais un
pansement d’une plaie encore béante. Elle est là, à l’air libre, elle peine à
cicatriser parce qu’elle s’infecte. Et tu regrettes. Tu regrettes vraiment.
Alors, t’en parles
un peu, mais pas trop, tu sais que c’est là, t’essayes de guérir, de toutes tes
forces, et plus tu parviens à refermer cette plaie petit à petit, plus ton
corps se déchaîne, y’a ces maladies invisibles et silencieuses qui prennent
toute la place, qui te rongent de l’intérieur, chaque nerf un à un, mais c’est
pas grave, parce que tu sais que tout ira mieux, tu sais que ton corps évacue
un truc nul, un truc qui fait mal. C’est ton âme qui se reconstruit, et ton
corps a un peu de mal avec cette idée, mais ça va aller, tu le sais.
T’as envie d’être
là pour les gens, tu te dis que si toi, t’es debout, peut-être que tu peux
relever deux trois personnes. J’y ai vraiment cru, du fond du cœur. En dehors
de toute satisfaction personnelle, j’ai eu cette envie de tenir la main, de
dire à ces filles que ça va aller, j’te jure, regarde, on se relève de tout. Je
sais, tu vas mal, mais regarde, y’a plein de moyens d’être un peu heureuse, le
bonheur tu le trouves un peu partout, essaye de sourire un peu, tiens, prends
ma main, ça va aller j’te jure. Il y avait cette dualité un peu constante, le
besoin d’évacuer la douleur noir sur blanc, de me plaindre pour aller mieux
dans la vraie vie, et l’envie d’aider, de soutenir, de dire hey, j’suis là.
Mais elle est où
la limite ?
A quel moment j’ai
eu ce sentiment étrange d’exhibition ? Quand est-ce que mon petit royaume
à moi toute seule, celui où je pouvais pleurer en cachette, est devenu un
théâtre ? Depuis quand j’ai cette impression malsaine de créer des
pathologies chez les autres, au lieu de les aider ? Oui, voilà, c’est dit.
Au départ, tu te dis qu’à force de lire ce que tu ressens, tu as envie d’évacuer
toi aussi, oui t’es comme moi, c’est ça bordel merci, t’as mis les mots sur ce
que je ressens. Alors t’y crois, c’est super, je mets les mots dessus. Puis tu
vois une certaine course, une exhibition de plaies, à celle qui a le plus mal,
à celui qui est le plus bancal. Comme si, au final, il était devenu nécessaire
de souffrir pour se sentir exister. Comme si pour être respecté ou écouté, il
fallait être malade, blessé. On cherche la différence en se calquant sur les
autres. On veut faire entendre nos voix à travers les paroles d’un autre. Je ne
jette pas la pierre, j’ai souvent été la première à le faire. A absorber. La
reine de l’hypocondrie. Le syndrome Doctissimo, ben oui c’est ça, forcément, j’ai
pareil, c’est sur. J’vois pas ce que ça peut être d’autre, ce vide en moi.
Alors moi, je
culpabilise. Au lieu d’aider, de relever, je crée des pathologies chez les
gens. Ben oui, forcément, tu te retrouves en moi, alors peut-être que.
Peut-être mais peut-être pas, et la limite, elle est introuvable. Je sais que c’est
extrêmement présomptueux de le présenter comme ça, comme si mes mots avaient finalement
un quelconque pouvoir, comme si j’agissais sur les gens d’une certaine façon.
Mais moi je culpabilise et j’arrive plus à trouver les mots, j’arrive plus à
aider, à garder ces gens debout. Et j’ai cet amère impression d’en faire de
même, d’entrer dans cette course de celui qui souffre le plus. Parce que c’est
devenu un musée, une exposition un peu malsaine qu’on prend plaisir à regarder.
Je passe mon temps à prôner que la douleur n’est pas quantifiable et j’en viens
à plus supporter les tirades larmoyantes et niaises, comme si j’oubliais où j’étais,
moi, à 20ans. Comme si j’me mettais en tête de course. J’veux pas t’entendre, j’ai
vécu pire. D’ailleurs, si tu veux mes maux, prends les traumas qui vont avec,
ça m’aiderait.
C’est complètement
con.
Je crois qu’au
final, j’étais beaucoup plus forte quand j’étais gosse. Avant qu’on arrache le
pansement. Avant de me foutre des étiquettes sur la peau. Je suis comme ça
parce que j’ai vécu ça. Je suis un condensé de ces mini batailles. J’écris pour
moi, parce que j’en ai besoin, plus pour être lue. Je prends mes distances, je
pense un peu à moi, j’ai assez de boulot comme ça. Et, c’est mieux comme ça. Je
culpabiliserai moins.
J’ai 26 ans dans
un mois et tout est en train de changer à l’intérieur de moi, c’est un beau
bordel que j’ai un peu envie de garder pour moi. De mettre noir sur blanc pour
ceux qui le voudront, et au pire, je m’en fiche.
Bonjour, si tu savais comme je comprends ce que tu écris...je n'ai pas lu ton blog en entier (pas encore ^^), je ne connais pas ta blessure, même s'il me semble la deviner à travers tes lignes, mais je voulais te dire que je connaissais cette sensation de porter la plus grande douleur en son sein et que rien autour ne pourra l'égaler ou la "supplanter", jamais.
RépondreSupprimerJe ressens encore parfois ses effluves amères, mais plus comme par le passé, tout ça a fini doucement par s'évaporer et à aller se faire voir ailleurs, loin, loin, loin chez les grecs ou en Papouasie Nouvelle Guinée, je saurais pas dire héhé...
La seule chose dont je suis sûre, c'est que lorsque je me sentais ainsi, acculée par la souffrance jusqu'à en "mépriser" celle des autres, je ne m'étais pas encore libérée de mes chaînes. On n'avait pas suffisamment -selon moi- reconnu mon "statut" de victime.
A partir du moment où j'ai décidé de tourner le dos à mon bourreau et de cesser toute relation avec lui, j'ai commencé -quelques mois après, faut pas déconner- à aller beaucoup mieux, peut être, sûrement même parce que je m'étais enfin et pour la première fois respectée, accueillie en tant qu'être humain, digne de droits, d'affection et d'amour.
Je te souhaite toutes ces choses et plus encore...j'espère aussi que tu vas bien, je t'embrasse.