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vendredi 27 mars 2015

Chronic pain.

Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours eu mal. Ca a commencé très tôt, ça prenait forme au creux de l'estomac, ça remontait dans la gorge, jusqu'à la tempe droite. Ca n'avait pas encore de nom. C'est arrivé du jour au lendemain, j'ai pas compris. J'ai cru à une bêtise. C'est à cause du raisin que j'ai mangé au magasin ? Pourquoi je vomis ? Je suis pas malade ! T'as pas de fièvre, Cátia, c'est rien du tout. Arrête de faire semblant. Même à l'école on ne me croyait pas. C'est pas grave, ça va passer. 

Ça n'avait pas encore de nom mais je savais déjà que c'était spécial. Dans ma tête, ça tournait déjà pas rond, alors c'est peut-être ça, c'est mon cerveau qui déborde, c'est les voix qui se disputent. Quand t'es gosse tu comprends pas. Tu ne sais pas d'où ça vient, tu sais juste que c'est là, quelque part, dans ta tête. La Migraine est apparue quand j'avais 6 ou 7 ans, je ne me souviens plus vraiment de la première fois où j'en ai eu. Mais je me souviens du jour où j'ai réalisé que c'était pas normal. Mais à l'époque c'était pas très connu, pas même traité. J'ai vu des médecins, une question, en passant. Ah mais madame on ne peut rien faire avant ses 15 ans. Ah. Pourquoi, en fait ? Je me souviens juste de ça. On ne peut rien faire avant ses 15 ans. Est-ce qu'il a voulu nous faire taire ? Est-ce qu'il ne savait vraiment pas ? Je savais à cet instant précis que je vivrais avec. Je le sentais. Je crois que c'est ce jour-là que j'en ai fait une amie. Je ne sais plus, peut-être que c'est aussi ce jour-là qu'elle a enfin eu un nom, je me souviens juste que j'ai compris, madame M serait avec moi pour un bon bout de temps. 
Alors je l'ai laissée s'installer pour de bon, allé, restes-là, t'as l'air bien. Je m'y ferais. Elle se réveillait plus souvent. Elle sautait dans ma tempe, elle se cachait derrière mon œil. Alors elle m'emmenait ailleurs. J'pouvais plus simplement vomir pour la faire partir. Non. Elle avait acheté sa parcelle de cerveau, elle était bien, elle jouait. Je perdais connaissance. Je m'endormais n'importe où, n'importe comment. Enfin, je pensais m'endormir, mais rien à faire, rien ne me réveillait. Je ne sais pas trop où elle m'emmenait, mais la douleur n'existait plus. Comme si je n'étais plus. J'étais libre, je n'avais plus mal. Pendant quelques instants je n'existais plus, et elle non plus.
J'ai commencé à aller aux urgences. Et déjà, je n'étais pas prioritaire. On me laissait sur une chaise, à attendre. Prends un doliprane ça va passer. Prends ci. Ou ça. Je n'étais pas prise au sérieux. Au collège, aussi, j'étais la fille qui séchais. Tu veux nous faire croire que t'étais malade hier ? Tu vas très bien là. Il fallait taire la douleur. L'apprivoiser. Elle est là, autant apprendre à la connaître, savoir ce qu'elle aime. Puis j'ai eu 15 ans. Alors on a revu des médecins. C'est sûrement les yeux, des migraines ophtalmiques, pourquoi elle ne porte pas de lunettes ? Parce que j'en ai pas besoin monsieur. J'ai tout eu. Rééducation de l’œil qui m'a bousillée. Gouttes pour le stress. Encore du Paracetamol. C'est rien, elle a rien, c'est des migraines c'est tout.

Et là tu le sais déjà, c'est comme ça. Attendre des années pour rien. J'avais appris à vivre avec elle, je lui avais donné un nom, tant pis, je m'y ferai. Je suis bien avec elle. Parce qu'alors, je le savais, elle me rendait vivante. La douleur me rappelait que j'étais là, j'existais. Au fil des années la Migraine s'est fait davantage connaître. pas encore reconnaître, mais c'était un début. Je n'étais pas folle. Juste malade. Alors, j'ai été voir un neurologue. J'au eu mon premier traitement. Et, après 6 mois, la claque. Il fait plus effet. Depuis 10 ans j'étais tellement dépendante des anti-douleurs que mon corps avait créé une accoutumance à tout traitement. Tous les Doliprane, Aspirine, Advil, Nurofen, tout ça n'agissait plus. Du tout. Des smarties. Et encore, j'aurais préféré du chocolat. On a changé mon traitement et, encore une fois, il n'a tenu que quelques mois. J'étais perdue, j'avais l'impression de ne pas m'en sortir. J'ai rencontré le docteur M., neurologue, qui était absolument incroyable. Fascinante. Elle m'a tout expliqué, clairement. J'avais alors 19 ans, et je découvrais que cette douleur que j'avais accueillis les bras ouverts était là depuis toujours. Et qu'elle serait toujours là. On a essayé plein de traitements, encore. J'ai aussi, en parallèle, appris à la connaître. Je savais quelles odeurs la réveillaient, quels aliments, j'ai appris à vivre avec elle, même si je ne faisais en fait que survivre lorsqu'elle se réveillait. J'ai appris à la sentir se réveiller, à être patiente, et j'ai eu envie un nombre incalculable de fois de m'éclater le crâne contre un mur.

J'ai été hospitalisée une semaine. On a cru à une tumeur, à une méningite, et plein d'autres mots qui font peur. J'ai eu plein d'examens, mais rien. Au fond de moi j’espérais plus. Je voulais que ça s'arrête. Elle était mon amie mais je voulais sa mort. J'ai été renvoyée d'un poste à cause de mes absences. Non, pardon, je ne peux pas aller chez le médecins à chaque migraine. Non, je ne sors pas. J'ai juste envie de crever. 
Aujourd'hui, elle est toujours là. Et elle sera toujours là. Mais je l'apprivoise.
Le problème avec elle, c'est qu'elle aime tout, un rien la réveille. Alors, je continue d'éviter les odeurs, les aliments. Je dois avoir toujours sur moi des anti-douleurs très forts. Je n'ai le droit à aucune hormone, je dois adapter ma contraception. J'ai totalement arrêté les traitements de fond. 6 années m'ont suffit à comprendre que de toute façon, elle les adoptait. J'ai réalisé que pas un jour ne passait sans avoir cette impression d'avoir le crâne dans un étau. J'ai appris à connaître les degrés de douleur, je sais quand je peux supporter, et quand je dois simplement aller aux urgences, de peur de perdre encore connaissance. La douleur oppresse mes pensées, paralyse mon visage, et m'arrache l’œil. J'peux plus bouger, j'peux plus vivre. J'ai commencé à perdre la mémoire, à divaguer. Je ne suis plus vraiment moi. Je suis Elle.

Aujourd'hui j'ai décidé qu'elle n'allait plus régir ma vie, que j'étais plus forte et que je décidais. 

Mais voilà.

Elle se réveille toujours pour me rappeler qu'elle est la plus forte, et qu'elle gagnera toujours.


Le problème avec madame M, c'est qu'elle a tout déréglé. J'ai un rapport à la douleur malsain, je supporte tellement au quotidien, que je supporte plus que les autres. Parfois même, j'en viens à me dire, allé, c'est dans la tête, c'est rien Cátia. Je cohabite au quotidien avec la douleur alors bon, j'vais pas me terrer, je vis.  Sur une échelle de 1 à 10 ? Je crève, là. J'ai envie de m'exploser le crâne sous une roue de 35 tonnes mais je sais ça se voit pas. Alors on me passe au Scanner, on me fait attendre des heures, et je ressors, les veines remplies de ketoprofene. Je sais qu'elle me tuera. Elle a brisé quelque chose. 

La migraine, c'est pas un cancer. Tu n'en meurs pas. Mais je jure que j'ai eu envie de mourir une bonne centaine de fois ces 18 dernières années. Et je sais que j'aurais envie de mourir encore des milliers de fois. T'en meurs pas, on ne te prend pas au sérieux. Les gens ne comprennent pas à quel point c'est un handicap. A quel point ça gâche une vie.
Aujourd'hui, je vais avoir 25 ans, et je veux un enfant. Mais je sais que cette saloperie va me détruire. J'ai peur parce qu'elle va accompagner chaque jour de ma grossesse. J'ai peur parce qu'elle va encore ruiner des journées, des semaines entières. J'ai peur parce que ces jours-là je ne serai même pas capable de m'occuper de mon bébé. J'ai peur parce que j'ai perdu connaissance alors que mon bébé petite soeur était dans le bain et que même ses hurlements ne m'ont pas ramenée. J'ai peur parce que je sais que mon cas est avancé et que rien ne les fera jamais partir. 

Et j'ai peur, parce que depuis deux mois et demi je vis avec une nouvelle douleur quotidienne. Elle non plus, n'a pas encore de nom. Je reviens 18 ans en arrière. Madame M a fait appel à une amie, elle devait s'ennuyer. Je n'en parle pas, parce que j'attends de lui donner un nom. L'ironie, c'est que son arrivée a rendu mme M folle de joie, elle danse, danse, sautille, beaucoup, souvent, longtemps. La nouvelle venue n'a pas encore de nom mais elle me gâche déjà la vie. Mon corps a accueillit Douleurs Chroniques. C'est nul comme nom, ça. Ce sont deux dames qui se sont installées, l'une dans mon cerveau, l'autre dans mon ventre. Elles sont bien, là. Ça a l'air accueillant. Et moi, je n'ai qu'à m'y faire.
La vérité, c'est que j'ai à nouveau envie de mourir chaque fois qu'elles se réveillent. Et elles se réveillent bien souvent..


1 commentaire:

  1. Je découvre avec délice que toi aussi tu écris, et même très bien. Par contre je suis triste de le découvrir de cette façon! Texte magnifique et vibrant. Il me fait du bien aux yeux par tes choix et jeux de mots judicieux, il me fait mal au cœur car c'est un témoignage personnel. Toi et moi on est sœurs d'armes alors je ne vais pas te chanter la litanie habituelle. Sache juste que je te trouve très forte, magnifique et talentueuse. Si tu as besoin d'une oreille pour t'epancher, j'en aideux qui fonctionnent très bien. Zoubisoubaisers ma mignonne.

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